Partage des eaux

Les bergers du Piémont n’étaient pas seulement des bergers ; c’étaient aussi des gens en migrance, des frontaliers pris dans des événements historiques complexes. Ils avaient quitté l’Italie (de 1920 à 1970), passé la frontière dans des conditions souvent difficiles, parfois tragiques, pour venir travailler en France. Cependant, partir n’avait pas pour but de se sédentariser ailleurs ; dans leur métier comme dans leur culture, il n’était pas prévu d’assignation à résidence.

Les histoires de ces bergers et de leur famille sont marquées par l’eau sous toutes ses formes. Cette eau vitale pour l’abreuvement des troupeaux, mais aussi l’eau des torrents où le migrant étanche sa soif, l’eau des rivières qu’il suit pour s’orienter vers une ville où il pourra prendre un train ou un autocar, les neiges qui entravent sa marche, les glaces qui l’empêchent parfois d’aller plus loin et le conduisent à la mort.

Les bergers résument parfois leurs vies en quelques mots gravés sur les rochers des alpages ou le mur d’une bergerie : un patronyme, un lieu et une date de naissance. Chacun de ces graffiti biographiques contient les éléments d’un récit dense pour qui sait les écouter et les interroger pour les faire vivre.

Ce récit dense est constitué des paroles de celles et ceux que l’auteur a rencontrés, avec lesquels il a travaillé. L’essentiel de ce récit est écrit en vers libre en alternance avec des notes plus documentaires précisant le contexte.

La route, le chemin, la marche sont générateurs d’oralité ; le pas engendre un rythme, une musique. Le vers libre met les paroles en séquences rythmiques.