>Christian Saint-Paul publie un recueil, « Vous occuperez l’été »,
composée de deux parties. L’une, éponyme, rassemble une soixantaine de
poèmes. Elle est précédée d’un long poème bilingue franco-occitan, « Tolosa melhorament »
que l’auteur qualifie de « poème radiophonique » car il a été
conçu d’abord pour être lu, et qui dit son attachement à sa ville, à
ses rues et ses places, son histoire, ses artistes. De fait, Christian
Saint-Paul chante ici dans son arbre généalogique occitan (son
« identité languedocienne méditerranéenne », et ancre ses
vers en des lieux précis, les attache à des personnes nommément
définies, et s’il se souvient des supplices de Vanini et Calas,
n’hésite pas à évoquer les contemporains, les amis artistes, Michel
Eckhard, Serge Pey, Michel Battle, etc.
Ces deux ensembles, qui datent de quelques années déjà, ont inspiré une
préface à Félix-Marcel Castan. Le chantre aujourd’hui disparu de la
culture occitane et de la décentralisation culturelle voit en
Saint-Paul un auteur dans la tradition du XIIe siècle, ne pouvant
écrire qu’à partir de sa ville, Toulouse. Il y explique aussi que le
« melhorament », c’est « le progrès moral et vital que chacun doit à l’Amour » Et rappelle l’apport des troubadours en la matière, quand « la
première poésie d’Europe, au XIIe siècle, a déplacé l’axe de l’Amour,
l’a ramené du Ciel sur terre, vers l’être individuel, vers la femme,
vers le couple fragile et tangible ».
Les poèmes de Christian Saint-Paul, ceux de la seconde partie surtout, « Vous occuperez l’été »,
répondent à ce registre en l’élargissant. Ils évoquent la femme aimée,
mais aussi les deux filles de l’auteur, celles qui auront à occuper
l’avenir de leurs promesses.
Un entretien avec Christian Saint-Paul
Tu
es né en Ariège, au Mas d’Azil, mais Toulouse est ta capitale et j’ai
le sentiment qu’avec « Tolosa Melhorament », tu tenais à dire
ta dette envers ta ville, son histoire -celle de l’Occitanie-, ses
artistes. Peux-tu nous raconter la genèse de ce texte ?
J’ai entretenu longtemps avec Toulouse des sentiments ambigus. Je suis
né en Ariège, mais j’étais à l’école maternelle à Toulouse, chez ma
tante, qui était directrice à Jules Julien. J’ai aimé ce quartier qui
était à la périphérie de la ville, à l’époque. On allait chercher le
lait à la ferme qui est devenue, aujourd’hui, une station service
“Shell”. Ce n’est certainement pas un hasard si mes deux filles ont été
aussi élèves de cette maternelle et imprégnées de ce quartier où je
suis finalement revenu, pour y résider. J’ai vécu ma scolarité ensuite
à Narbonne, à Montauban, pour revenir en 1966 à Toulouse.
J’avais été terriblement heureux à Montauban dans les années soixante
et ce fut un vrai déchirement de quitter cette ville où la vie était
facile et les amis scellés pour toujours. Les premiers temps, je
revenais sans cesse à Montauban où ils me logeaient. Je parle de ces
trains qui me ramenaient à l’amitié dans les « Murènes
monotones ».
Puis, j’eus la chance de trouver quelques amis indéfectibles à
Berthelot autour de la poésie. Avec Michel Eckhard-Elial, Jacques
Miquel et le parrainage de Jacques Brel, nous avons créé, en 1966, le
Pop club poésie. Au Cratère, j’ai rencontré Claude Saguet que je n’ai
plus quitté, alors qu’Eckhard-Elial, Miquel et les autres sont partis
accomplir leur destin ailleurs. Après mai 1968, les amis, à l’exception
de Saguet, avaient quitté Toulouse, la ville changeait et m’échappait,
la poésie se faisait dans les universités et j’ai été confronté à une
certaine solitude que je liais à Toulouse. J’ai eu alors ma révélation
de ma passion pour l’Espagne et mes séjours, là-bas, m’ont apporté
l’enthousiasme de vivre que la ville avait étiolé. Au dernier trimestre
de 1970, il était évident que l’action clandestine contre le franquisme
devait changer de visage et que l’Espagne entrait inexorablement vers
la modernité. Il fallait remiser les armes et laisser la place, mais
toute la place, à ceux de l’intérieur qui devaient réussir le passage à
la démocratie par la persuasion d’un langage. Surtout, plus d’action
violente, à l’exception de l’élimination incroyablement réussie de
Carrero Blanco qui représentait un danger évident de maintien d’une
dictature qu’il aurait rendue prospère, avec l’aide de l’Opus Dei.
C’est aussi l’époque de tes premières publications ?
Entré dans la vie active en novembre 1970, jusqu’au début des années
80, ma vie fut vouée au travail. Je rédigeais des jugements et j’aimais
le monde judiciaire. Sur l’insistance de Claude Saguet, je publiais « Les murènes monotones ».
Je croisais Heurtebise et j’étais abonné à “Multiple”. Mais à cette
époque là, j’étais surtout en contact avec Pierre Boujut, Pierre Béarn
et Michel-François Lavaur, des revuistes passionnés. En 1980, je
découvris de nouveau qu’il y avait une vie poétique à Toulouse. Je me
suis rapproché de Cosem ; la mode poétique changeait. Je lisais
beaucoup, tout ce que je pouvais trouver en poésie. Texture, Multiple, Encres Vives, Tribu
publiaient des textes de poètes que je découvris avec bonheur. Serge
Pey rassemblait un large public lors des Rencontres Internationales. Je
me rendais de nouveau à la Cave Poésie. C’était une renaissance. Je
voyais Toulouse différemment ; je voulus tout savoir de son
Histoire, de ceux qui l’avaient habitée et qui en avaient été marqués.
Je fis mon retour dans l’action poétique.
On était loin du romantisme des années soixante au Cratère, mais je fis paraître une revue avec les moyens de bord : « Poésie toute », puis une autre « Carnets des Libellules ».
Elle étaient éclectiques, brouillonnes, (j’avais conscience d’être “le
gitane” de la poésie à Toulouse), mais elles rassemblaient.
Curieusement, elles m’ancraient à Toulouse, alors que grâce à
Eckhard-Elial, je publiais des poètes israéliens et palestiniens.
Je redécouvris aussi Félix-Marcel Castan, les poètes de
Montauban : Malrieu, Herment. L’œuvre poétique de Castan est
majeure. Il l’a négligée au profit de ses écrits théoriques sur la
décentralisation culturelle. Je crois qu’il était heureux que je le
ramène toujours à sa poésie, car je le reconnaissais avant tout comme
poète. Mais dès ces années 80, il m’avait persuadé que Toulouse était
une ville capitale. Alors, elle devint pour moi le prolongement de
Montauban, du Mas d’Azil, de Carcassonne, de Narbonne. Il n’y avait
plus opposition, mais aboutissement. J’étais un ariégeois méditerranéen
de Toulouse. En même temps, je découvris une vraie fragilité à cette
ville qui, comme toutes les villes, peut être défigurée par les erreurs
des hommes. La défiguration peut être aussi morale. C’est dans ce
sentiment qui m’obsédait d’amour enthousiaste et d’angoisse inexpliquée
que j’écrivis ce texte « Tolosa Melhorament ».
Quelques mois après l’avoir écrit, ce fut l’explosion d’AZF. Ce
désastre me rendit plus intelligible les derniers passages du poème.
Les poèmes de la seconde partie datent-ils de la même époque ?
Oui, à l’exception de quelques textes écrits en 1997 que j’ai intégrés.
Tu as intitulé ton recueil : « Vous occuperez l’été » ; que signifie ce titre ?
Vous occuperez l’été, c’est-à-dire la saison chaude, la saison des
vacances, la saison où la nature est épanouie. Aller vers l’été, c’est
aller vers la joie. Ce titre s’adresse à mes deux filles. J’ai voulu
leur dire qu’elles vont s’installer dans une joyeuse quiétude, que
c’est cela qui les attend, en tout cas, que j’espère de toutes mes
forces.
Tu évoques « l’âme
toulousaine, ivre de la puissance érotique des cours d’amour et de la
décence des Cathares allant au déclin sans tache de boue ». Que
lis-tu encore aujourd’hui de cet héritage dans les rues et la vie de la
cité ?
A juste titre, Toulouse est fière de son
Histoire. Je fais partie de ceux qui militent pour le maintien de la
culture occitane et qui entretiennent le feu de sa mémoire vive. Les
ruelles de Toulouse suintent d’une haute tradition qui n’est pas
perdue. Bien des poètes, à Toulouse, sont des héritiers de Nelli.
« Il eût suffi de si peu pour magnifier la vieille langue » : qu’a-t-il manqué ?
Une volonté politique. Si les maires et les notables de Toulouse
avaient parlé occitan, le peuple se serait reconnu en eux et n’aurait
pas lâché sa langue. Au lieu de cela, l’accent était considéré, dès les
années soixante, comme un aveu de vulgarité.
Tu dénonces en maints
poèmes l’époque actuelle liée à « la grossièreté domestique de la
communication », les « mots nuls et non avenus des peuples
standardisés », et « les algues putrides de la
quiétude » : comment t’y sens-tu et quelle place accordes-tu
à la poésie ?
La communication est devenue une religion politique qui organise un
consumérisme qui n’écarte rien de son empire. Elle standardise toute
pensée et amenuise l’être qui se dissout dans un langage préfabriqué.
Le poète n’habite pas cette sécurité langagière qui fait de l’homme un
mouton de Panurge. La poésie redonne du sens à la langue, détruit les
accoutumances des clichés qui étiolent l’esprit, redonne à l’homme sa
liberté de dire, donc, d’être. Sans la poésie, pas de salut possible.
C’est une activité vitale que des nécessités alimentaires obligent
souvent à refouler pour ne pas apparaître en marge. Mais c’est toujours
dans les marges que le monde progresse. Lire, écrire de la poésie sont
des actes de résistance indispensables à ma survie.
Tu écris : « l’homme est humain dans la déroute ». Que veux-tu dire ?
Il y a peu d’humanité dans l’homme victorieux, simplement l’euphorie de
la puissance. L’homme vaincu, l’homme en déroute, est nu dans son
angoisse. On y lit toute la détresse de la condition humaine.
Qui est ce « pauvre idiot » qui « converse d’égal à égal avec le ciel et le vent ? »
Le pauvre idiot est “l’innocent du village” qui voit au-delà de la réalité conformiste ; c’est une métaphore du poète.
« La voix est donc la seule issue pour ceux qui ont perdu la parole » affirmes-tu. Peux-tu préciser ?
La recherche de la “Parole perdue” signe une tradition ésotérique que
je pratique depuis longtemps. Je poursuis cette quête spirituelle aussi
par la diction des poèmes qui mobilise la voix.
Ce recueil est illustré par des oeuvres originales du peintre catalan, Joan Jordà. Comment l’as-tu connu ?
J’avais vu ses tableaux dans les années 70 et je l’avais aperçu une
fois aux côtés de Raho qui réalisait une anthologie des artistes vivant
en région. Le livre qui lui fut consacré, il y a quelques années, je
l’offris à ma famille et à mes amis. Puis, un ami lui a fait lire mes
textes, et il s’est mis au travail. Nous avions un projet :
publier « Tolosa Melhorament » en livre d’art, avec les
illustrations qu’il a faites. En attendant, il a tenu à créer des
dessins en noir et blanc, spécialement pour « Vous occuperez
l’été ». Les illustrations pour « Tolosa Melhorament »
n’ont pas été utilisées. J’ai pour Joan une grande affection et une
vive admiration. Ses dernières toiles sont l’aveu d’un inlassable amour
de la vie de la part d’un artiste qui a su peindre avec génie l’horreur
de la répression.
Quels sont tes projets actuels ?
Continuer chaque jeudi de 20 h 15 à 21 h, en direct, mon émission “Les
poètes” à Radio Occitania (98.3 MH2) et les diffuser sur le site :
www.lespoètes.fr.
Je dois publier en décembre un recueil chez Cosem à “Encres Vives” sur
la Bretagne et un autre recueil dont “Friches” et “Décharge” ont publié
des extraits et qui est préfacé par Jean-Pierre Lassalle.